« Bien manger pour tous »
Quand la transition alimentaire ne doit pas être inégalitaire

Transitions alimentaires - Publié le 11/06/2025

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Loin d’être un simple besoin physiologique, l’alimentation est aussi un puissant révélateur des inégalités sociales. Ce que nous mangeons, où nous faisons nos courses et comment nous percevons la « bonne alimentation » sont façonnés par des barrières économiques, culturelles et géographiques. Pourquoi une telle distinction ? Quelques pistes de réflexion avec Sandrine Doppler, experte en intelligence économique & stratégie food, top of voice LinkedIn et créatrice de la newsletter professionnelle State of Food.

Vers une alimentation à deux vitesses ?

Pour Sandrine Doppler, l’alimentation ne se résume pas uniquement à une question de goût ou de santé. Elle est aussi un marqueur social fort qui reflète des inégalités profondes et structurelles. Quelques chiffres clés :

– Les 20 % des ménages les plus riches dépensent 50 % de plus en alimentation que les 20 % les plus pauvres (Insee, 2022).

bien manger bretagne

– 70 % des cadres supérieurs consomment régulièrement du bio, contre 27 % des ouvriers (Credoc, 2022).

– Dans les grandes villes, les « déserts alimentaires » se multiplient : les supermarchés discount et fast-foods dominent les quartiers populaires, tandis que les magasins bio et marchés locaux sont concentrés dans les zones aisées (Université Paris-Dauphine, 2022).

Il apparaît donc que les classes populaires sont confrontées à une offre alimentaire restreinte avec notamment peu de commerces proposant des produits de qualité ou des prix élevés pour le bio et les produits frais. Va-t-on vers un système où bien manger devient un luxe, tandis que la malbouffe devient la norme pour les plus précaires.

L’alimentation comme facteur de distinction sociale

Pierre Bourdieu (La Distinction, 1979) avait démontré que nos préférences alimentaires ne sont pas neutres. Elles sont façonnées par notre milieu social et servent à marquer notre appartenance à une classe. Pour les plus aisés, manger sain n’est plus seulement une question de bien-être, c’est aussi une forme de distinction sociale. Et le rejet des produits transformés peut vite leur faire adopter un discours moralisateur sur l’alimentation : les produits industriels sont perçus comme « mauvais », renforçant ainsi une opposition entre les « mangeurs responsables » et les « irresponsables ».

malbouffe

Pourtant, il est essentiel de tenir compte de certains facteurs incontournables, en particulier pour les classes moins aisées :

– Le prix reste le premier critère d’achat pour 60 % des foyers modestes (Insee, 2022). Les plats ultra-transformés sont souvent les moins chers, et donc les plus accessibles.

– Les quartiers populaires sont souvent des déserts alimentaires, où les commerces de proximité ne proposent pas de produits frais et abordables (Université Paris-Dauphine, 2022).

– L’idée que bien manger est un choix oublie souvent les réalités sociales : manque de temps, coût élevé des produits de qualité, précarité alimentaire.

Vers un « apartheid alimentaire » ?

Si ces tendances se poursuivent, nous pourrions voir émerger une véritable fracture alimentaire, avec des conséquences sociétales importantes.

– Scénario 1 : l’exacerbation des inégalités. Les prix élevés continuent à rendre le bio inaccessible pour une grande partie de la population, l’offre alimentaire se polarise (premium et naturelle pour les élites, ultra-transformée pour les classes populaires) et les maladies chroniques (obésité, diabète) explosent dans les catégories modestes.

mal manger

– Scénario 2 : une ségrégation urbaine. Les quartiers populaires deviennent vraiment des déserts alimentaires, où l’offre de produits frais disparaît tandis que les classes aisées développent des circuits exclusifs (fermes urbaines privées, abonnements premium à des paniers bio) et la « food tech » devient un privilège, avec des produits enrichis et optimisés.

– Scénario 3 : l’alimentation à deux vitesses en temps de crise. Les crises économiques, climatiques ou géopolitiques amplifient brutalement les inégalités alimentaires comme par exemple avec la pandémie de Covid-19 (explosion des files d’attente devant les banques alimentaires, pendant que les ventes de paniers bio augmentaient de 30 % chez les foyers aisés (FAO, 2021)) ou l’inflation qui a vu une forte augmentation du prix des denrées de base, forçant les ménages modestes à réduire leur consommation de produits frais.

manger sain

Il est donc indispensable que l’alimentation soit plus équitable, rendant par exemple les produits sains plus accessibles, repenser l’éducation alimentaire ou travailler la résilience alimentaire des territoires.

 

De la politique régionale à la feuille de route d’ACT food

« Bien manger pour tous » est la réponse bretonne à cette exigence sociétale. Pour le Conseil régional, la Bretagne doit porter un projet de transformation ambitieux, générateur de revenus et vecteur de fierté pour les agriculteurs et les salariés du secteur. La Région ne doit laisser personne au bord de la route, et surtout pas ceux qui n’ont pas les moyens de faire ces choix. Il s’agit donc d’accompagner toutes les alimentations, « car rien ne serait pire que de créer une sorte de fracture alimentaire ». Pour encourager cette transition des filières de l’alimentation, elle a concentré son action autour de plusieurs axes prioritaires. Une politique qui vise à faire de la Bretagne un leader du bien-manger en Europe.

Quant à ACT food et les cinq centres techniques, cette politique institutionnelle est la base de sa feuille de route :  « Nous sommes là pour étudier et proposer des solutions pour optimiser les intrants, les processus de fabrication, la qualité, la gestion de l’énergie, la conservation des aliments etc. Mais également permettre à chaque consommateur d’avoir accès à une alimentation abordable. Nous sommes un acteur parmi d’autres mais une partie prenante active, pour aider les entreprises à évoluer. Il est essentiel pour elles de développer leur compétitivité afin de garantir cette accessibilité indispensable de l’alimentation ».

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